Le dossier « EAU » paru dans La voix Biolactée (juin 2021) présente les travaux de Laurent DENISE, chercheur indépendant. Nous mettons ici en parallèle ses recherches sur le cycle de l’eau et certaines caractéristiques de l’agriculture au Pays Basque : entretien du taux de matière organique de sols, abondance de prairies, haies bocagères...
L’humus des sols : une clé pour limiter l’irrigation massive
Selon L. Denise, le taux d’humus dans les sols est la clé pour éviter de recourir à une irrigation massive. D’après une cartographie des sols réalisée par le pédologue Dominique Massenot et Yves Herody (BLE- 2016), les sols basques sont très riches en matière organique, avec un taux entre 3 et 5%, grâce à l’héritage de forêt, fougères, ajoncs. Ces matières organiques sont plutôt stables à très stables, et retiennent l’eau. De plus, de nombreux agriculteurs au Pays Basque entretiennent leurs sols avec des apports réguliers de matières organiques, fumiers compostés notamment. Ceux qui n’ont pas d’animaux (maraîchers, producteurs de plantes aromatiques..) font appel à leurs voisins pour récupérer du fumier. Des formations sont organisées chaque année par BLE avec des pédologues pour rappeler les bonnes conditions de stockage et d’apports adaptées au contexte pédoclimatique (bâchage du tas de fumier pour éviter le lessivage et les pollutions des eaux par les nitrates, choix du temps de compostage selon l’état du sol, etc..).
Des paysages verts qui entretiennent le cycle de la pluie
Le Pays Basque se caractérise aussi par son abondance de prairies et pâtures. Or selon L. Denise, les végétaux verts, vivants tout l’année participent à l’évapotranspiration, donc entretiennent le cycle de la pluie et limitent l’albedo donc le réchauffement climatique, contrairement à des cultures annuelles qui jaunissent au moment des récoltes. L’entretien de ces prairies nécessite parfois autant de technicité que pour d’autres cultures : griffage pour favoriser l’aération du sol, apports de matière organiques au bon moment, pâturage tournant pour optimiser la ressource et éviter le surpâturage, lutte contre la chenille cirphys…
Et qu’en est-il des paysages viticoles du Pays Basque ?
Sur l’AOP Irouleguy en particulier, les 2/3 des parcelles sont plantées selon le système des terrasses. Ce système de plantation a été mis en place au début de l’appellation, dans l’optique de « dompter » les montagnes basques et ainsi implanter le vignoble. Sur ces terrasses, les rangs sont le plus souvent enherbés.
Sur les parcelles plantées dans le sens de la pente (en classique), elles sont enherbées à minima 1 rang sur 2.
Ces enherbements naturels ou semés, permettent de maintenir une stabilité du sol et un équilibre de la vie dans ce-dernier. D’autre part, ils sont indispensables aux viticulteurs pour leur permettre de repasser facilement dans les vignes suite à des épisodes pluvieux relativement conséquents. Cependant, cet enherbement demande un entretien assez conséquent pour éviter toute humidité excessive au niveau du pied de la vigne. Actuellement, un groupe de viticulteurs travaille sur l’élaboration d’un prototype d’outil de désherbage adapté aux terrasses.
Des ripisylves et des haies aux fonctions multiples
Les informations de ce paragraphe ont été recueillies lors d’un entretien avec Jaime Jimenez, formateur indépendant de l’entreprise Paysages de Mares Haies d’Arbres, qui réalise des diagnostics agri-environnementaux et accompagne les agriculteurs pour la mise en place de projets paysagers agroécologiques au Pays Basque.
L’arbre, présent au Pays basque au sein des prairies bocagères et des forêts, a de multiples fonctions liées au cycle de l’eau : il participe à l’évapotranspiration, maintient le sol face aux ruissellements qui emportent la matière, freine l’eau et favorise sont infiltration, conserve de la fraîcheur et peut remonter de l’eau des profondeurs en cas de sécheresse (l’eau perle au niveau des racines), garde l’eau en réserve (par le bois mort accumulé). Pour les éleveurs et les maraîchers d’autres bénéfices s’ajoutent : ombre et fraîcheur pour les animaux et les travailleurs, fourrage, brise-vent (protection des serres). Les haies et forêts qui forment une continuité sont des corridors écologiques, pour les auxiliaires des cultures, chauves-souris, insectes pollinisateur, parasitoïdes et oiseaux insectivores.
Lorsque la rivière vient sous-caver les berges, ce sont les racines des arbres de la ripisylve qui les maintiennent plus longtemps. Si l’agriculteur souhaite conserver la parcelle dans l’état existant, un peu d’entretien est requis : planter suffisamment d’arbres pour favoriser un réseau racinaire dense et couper les arbres trop penchés qui tirent sur les berges.
La ripisylve a des fonctions importantes et multiples :
- Elle garde l’eau froide et un écosystème spécifique (nécessaire à certaines espèces, les rivières traversant des espaces ouvert présentent moins de biodiversité)
- Elle maintient les bergessi l’objectif est de conserver le terrain en état ; mais la création de bras-mort est intéressant pour la biodiversité et réduit les impacts lors des crues
- Les seuils créés par les racines qui s’entrecroisent en travers de la rivière évitent au lit de se creuser plus profondément - et donc d’abaisser le niveau de la nappe, évitant ainsi d’assécher les parcelles voisines par appel d’eau
- Les branches et troncs qui tombent freinent le débit, créent des embâcles qui offrent des caches à la faune aquatique, limitent l’eutrophisation en favorisant l’oxygénation de l’eau propice à la vie d’espèces exigeantes. L’agriculteur qui souhaite préserver ces espèces doivent accepter qu’à ces endroits la rivière peut déborder.
La marque Végétal local garantie des espèces adaptées localement, synchrones avec les auxiliaires notamment. Au Pays Basque, Jaime a rencontré deux personnes intéressés pour produire des plants dans cette démarche, mais aujourd’hui il faut aller jusqu’en Gironde pour le pépiniériste le plus proche.
La gestion de la circulation de l’eau doit se faire à plusieurs, avec ses voisins de l’amont et l’aval. Une rivière qui s’assèche, une parcelle drainée, va faire un appel d’eau et la nappe va elle aussi descendre, les parcelles en amont s’assécheront.
L’enjeu quantitatif de l’eau est à relier à l’enjeu climat, par deux aspects : l’adaptation nécessaire à l’impact du changement (période de sécheresse, pics de chaleur, pluviométrie irrégulière) mais aussi, ce qui est moins connu, l’impact sur le cycle de l’eau, la vapeur étant aussi un gaz à effet de serre, le premier même. Dans une perspective agroécologique systémique, l’évapotranspiration sur les territoires en bordure de l’océan (200 km) en Aquitaine, Poitou-Charentes, Vendée,… constitue en partie les précipitations qui auront lieu plus à l’intérieur du continent, vers l’est, sur les contreforts alpins etc. Plus que jamais, le cycle de l’eau est emblématique de la nécessité absolue d’une approche systémique.
L'équipe de BLE CIVAM.